Il est 22 heures, la télé braille
au rez-de-chaussée de l’hôtel, les garçons parlent fort, ça résonne dans toute
la montée d’escaliers, ma chambre est juste sur le palier du premier au-dessus
de la réception, aux premières loges pour les échos qui ne s’arrêteront qu’à
une heure du matin et je suis heureuse. Heureuse de me retrouver dans cet hôtel
d’Hazaribagh qui était un peu miteux et qui est maintenant resplendissant de
propreté et repeint à neuf. L’équipe de garçons de service n’a pas changé, le
patron est toujours le même et ça me fait chaud au cœur de revoir tout ce monde
que je connais depuis des années, qui me font des coucous avec la main, des
namasté, des grands sourires… Le garçon qui vient me servir des légumes et une
chapati dans ma chambre, pas le temps de chercher un restaurant, nous sommes
arrivés très tard, est toujours le même, et voyant les bananes sur la table, me
demande s’il peut en manger une et la dévore dans ma chambre. Soupçonnerais-je
une légère faim… ou même une sous-alimentation pour ces garçons ? J’en ai
tellement vu dans tous les hôtels, courir toute la journée dans les étages et
manger enfin quand les clients dorment tranquilles, vers 11 heures du soir.
Comme hier soir dans le Shatabdi Dehra Dun Express, dans le wagon de première
classe, les garçons qui servent le goûter (thé, petits biscuits, fruits secs)
puis le dîner, dévoués, serviables, jouant les équilibristes avec leur dizaine
de plateaux entassés qu’ils distribuent devant chaque personne posément et qui
se retrouvent assis par terre en tailleur en train de manger les plateaux
restants, coincés entre les toilettes et les étagères à bagages vers 11 heures
du soir… Tout ce petit peuple au service qui ne compte ni ses heures ni ses
pas, certainement contents d’avoir du travail et qui vivent dans des conditions
qui feraient trembler de désespoir un militant syndical.
Ce matin, pour aller plus vite,
j’ai pris l’avion. Avec un effort depuis une semaine pour voyager léger :
juste un sac à dos qui pèse 6, 3 kg sur la balance de l’aéroport. Je me trouve
remarquable !
Une heure quinze de vol au lieu
d’une nuit de train, c’est payant… surtout quand le billet d’avion est moins
cher qu’un billet de TGV Lyon-Roissy. Petit coup au cœur quand amorçant sa
descente vers Ranchi, la capitale de l’état du Jharkhand dans le Nord-Est de
l’Inde, l’avion a remis les gaz et est remonté vers les nuages. Le pilote a
simplement expliqué que l’atterrissage n’étant pas génial de ce côté, il
faisait le tour pour prendre la piste dans l’autre sens… Why not ? Je ne m’étonne plus de
rien. Incredible India !
A la sortie de l’aéroport, je me
fais accoster par un journaliste, interview, photo.. Je serai probablement dans
le journal local demain matin. (et oui, je confirme !)
C’est dire comme le Jharkhand qui fait pourtant
des efforts démentiels au niveau de la publicité pour faire venir les
touristes, a besoin de conforter son image auprès du public, surtout indien,
car quel occidental va s’amuser à venir ici ? Surtout avec les dernières
émeutes dans le district de Gumla où je vais justement demain ! Ceci dit,
pour les amateurs de jolie campagne et de nature, de villages typiques au bord
de rizières, si on sort des carrières, des mines, des bassins fétides de
décantation et des villes polluées il y a des choses à voir. A condition d’être
accompagné par quelqu’un du cru. Merci d'accepter l'humour au second degré !
L'invitée de la ville, "city guest" en titre ! de quoi donner envie aux occidentaux d'arriver en masse... |
ne pas oublier ses marchés typiques et colorés, situés en plein carrefour au milieu de la nationale |
ses temples historiques et magnifiquement sculptés |
son agriculture locale originale : la récolte des fleurs de mawa pour en faire un alcool familial (et qui aide à augmenter le pourcentage de femmes battues) |
et ses levers de soleil enchanteurs pour des lendemains qui chantent, surtout des chants de lutte pour récupérer les terres occupées par les industries minières |
Trois amis m’attendent à l’aéroport, des travailleurs sociaux (Ekta Parishad et NSVK) militants pour les droits de l’Homme ce qui veut signifie ici, le droit à la terre, à l’eau, à avoir un toit sur sa tête, à la dignité, à l’hygiène (bientôt les toilettes obligatoires pour accueillir les jeunes mariées ? Ce serait bien !) et pour cela faire à longueur d’années des centaines de kilomètres de marches non-violentes pour arriver à faire plier le gouvernement pour l’application des lois déjà mises en place ! Ils m’annoncent tout de suite le programme, nous filons au Forest Meeting Hall, beau bâtiment en cours de réfection car laissé à l’abandon jusqu’à présent et réhabilité, repris en main par des militants déterminés, pour une importante réunion afin de renforcer la participation des gouvernements local et central au management de la forêt (très habitée par des peuples tribaux facilement « éjectables » face aux demandes des industriels) en Inde. Le programme est en anglais… mais les débats sont en hindi, dommage car ils semblent vraiment dignes d’intérêt, même si le mien se dilue doucement dans les brumes vaporeuses de l’endormissement. J’ai le plaisir de faire la connaissance de M. Sanjay Upadhyay, avocat à la Cour Suprême de Delhi, fervent défenseur de l’environnement qui ne m’en veut pas d’avoir fermé les yeux pendant son intervention. Sur les vingt personnes présentes, seules trois femmes sont là, bien discrètes, mais c’est un début.
L'affiche devant le hall du Palais des Congrès |
Birendra en paroles et en action et Sarju qui boit son verre au premier plan |
Le groupe que j’accompagnai en
février avait vidé ses poches à l’aéroport des roupies qui restaient sans emploi
et forte de ce petit pécule nous cherchons tous les quatre avec le chauffeur
comment nous pourrions dépenser cet argent utilement pour la petite école
tribale que le « comité Lacim (Les amis d’un coin de l’Inde et du
monde) » que j’ai monté pour ça parraine depuis déjà deux ans. Entre deux
évitements de camions : « et si nous achetions des boites de crayons
de couleurs ? » Puis sur l’autoroute entre Ranchi et Hazaribagh à
plus de cent à l’heure (la route est bonne, c’est une deux fois deux
voies) : « plutôt des cahiers ou des livres d’apprentissage de
l’alphabet ? » Entre deux hoquets de peur car les phares que je vois
arriver en face, non, ils ne sont PAS de l’autre côté de la séparation
mitoyenne de l’autoroute, euh !…ça passe, le chauffeur zigzague, le mobile
collé à l’oreille, collé aussi aux pneus par une voiture derrière qui use son
klaxon sur des kilomètres, « et si on achetait des ventilateurs ? Il
va commencer à faire chaud… », c’est plutôt moi qui transpire dans les
sinusoïdales routières et je pense que ces gamins ont depuis toujours
l’habitude de la chaleur et qu’il y a peut-être des choses plus intéressantes à
acheter. Et puis avant d’arriver à Hazaribagh, en se faisant doubler par un bus
local par la gauche (on roule à gauche en Inde ne l’oubliez pas) l’idée
lumineuse : le soleil se couche à 18 h 30 à peu de minutes près et les
gamins n’ont pas d’électricité pour faire leurs devoirs et manger. Si on
trouvait des lampes solaires ? Et voilà comment je me trouve en ce moment,
saine et sauve une fois de plus, en train de recharger dans ma chambre d’hôtel
deux grosses lampes superbes rechargeables à l’électricité dont une en plus au
soleil, que nous allons tester demain soir à l’école.
Merci aux personnes du groupe de
Terre du Ciel d’apporter la Lumière ! Beau symbole ! et d'une grande utilité je peux l'assurer... voir bientôt la suite !
Il arrive que le regard, la réflexion et le coeur d'une autre vous emmènent dans un pays que vous tenez à distance, au point de souhaiter la réduire.
RépondreSupprimerVoyajou
ça, c'est un commentaire qui me fait vraiment plaisir Voyajou ! j'espère que la distance continuera à diminuer doucement jusqu'au moment où ce sera : Namasté ! good morning India !
RépondreSupprimer