vendredi 24 novembre 2017

Je m'appelle BABLI



Je m'appelle Babli et j'ai dix ans. Je suis l'aînée et j'ai deux garnements de frères. Ma mère a trente ans et mon père peut-être dix de plus. Nous vivons dans le désert du Rajasthan et nous sommes au service d'une famille rajpoute qui a eu son heure de gloire.
avec ma mère et mes deux frères
 Le chef de famille a disparu en 1999 et sa femme née en 1950 assure maintenant seule la gestion de la propriété. Aujourd'hui, une femme à la peau blanche est arrivée avec la fille de la propriétaire et je l'appelle "englesi" car elle ne parle pas hindi. C'est dommage car qu'est-ce qu'on lui en raconte des choses ! On l'a retrouvée en train de lire dans les collines et je suis allée chercher toutes les photos qu'on avait à la maison : le mariage de mes parents, les photos de mes frères bébés (mais je n'y ai pas eu droit comme j'étais une fille), des photos de la famille en train de mettre les pieds dans le Gange. J'espère qu'elle nous donnera les portraits qu'elle a fait de nous hier ! On les mettra avec les autres dans la grande pochette plastifiée des graines de bajra (on les fait pousser pour donner à manger aux vaches et pour la farine des chapatis).

j'apprends à balayer les coins et les recoins
Le matin, je vais faire le ménage dans la grande maison et j'apprends à enlever la poussière. La fille de la propriétaire m'a montré car avec les travaux il y a vraiment de la poussière partout. Elle a aussi demandé à mon frère de ramasser les bouses de vache devant la maison pour faire cuire les chapatis (galette qui sert de pain), ça a bien meilleur goût.


Je vis au jour le jour, je garde les chèvres, je vais chercher les vaches, tirer l'eau du puits plusieurs fois par jour. 


Nous sommes éloignés de tout, j'ai juste entendu parler de l'école mais elle est trop loin. Notre vie est là, à galoper pieds nus dans les collines de cailloux. Nous dépendons de cette famille et de cette ferme qui assure bon gré mal gré notre survie.

A 18 ans ou peut-être avant, on me mariera et je ferai comme ma mère : des enfants, la cuisine, la lessive, jour après jour. Le mot "avenir" n'a aucun sens pour moi. Et le soir je continue de balayer toute la poussière de marbre faite par les ouvriers. En chantant.
c'est aujourd'hui jour de fête, avec ma copine nous avons mis nos belles robes

jeudi 23 novembre 2017

Calamity Jane en sari rose



Telle Isidora Duncan elle laisse flotter sa longue écharpe (mais juste pour le dessin !)

Elle avait décidé de partir à 7 heures du matin. Mais après avoir bu son premier chaï (thé indien au lait et aux épices) il lui restait encore tellement de choses à préparer même si la veille au soir elle avait commencé à entasser de nombreux petits paquets. Mais là il fallait préparer les parathas (sorte de grosse crêpe) du petit déjeuner, croustillantes et tartinées de ghee (beurre clarifié), vider le frigo et emporter toutes les courses faites la veille au marché. Et prendre une douche.
Bref à 9 heures nous faisons le plein de gas-oil de la jeep prêtée par les voisins et remplie de paquets de carrelage pour la salle de bains de sa mère. C'était pour là-bas, à la campagne à quatre heures de jeep, entre Jodhpur et Jaisalmer, arrêt pour la puja au temple compris. 

le petit temple en cours de route où la famille a l'habitude de venir faire des offrandes
en échange le brahmane donne le "prasad" quelques sucreries
la jeep bien dans l'axe de la porte, prête à repartir (et ça permet de la surveiller)
Heureusement la majeure partie du trajet était en "autoroute" payante, même si au dernier péage elle a décidé de faire 50 roupies d'économie sous prétexte que le gardien de cabine la connaissait. Elle s'est mise devant la barrière de péage et a attendu qu'elle se lève, sans donner une roupie. Et la barrière s'est levée. Etait-ce la surprise de l'employé, subjugué en voyant ces deux femmes en vieille jeep, la conductrice laissant flotter son long voile rose ?
Après l'autoroute, ce fut la petite route de campagne puis celle encore plus étroite à voie unique où le camion d'en face allumait plein phares pour dire "tire-toi-du-goudron-c'est-moi-qui-passe", ce qu'elle accepta vue la taille du chargement de gravier.
la piste tranquille sous le soleil
Après ? C'était la piste tranquille à travers les collines de pierres, il suffisait de suivre les traces dans le désert. Le petit chhatri (monument funéraire) au sommet de la crête, tombe du grand-père, annonçait l'arrivée et la ferme apparaissait, petite oasis.

entre les colonnes du chhatri on devine la ferme
Grande effervescence dans la ferme qui s'agrandit. Belle construction en pierres qui triple facilement la surface initiale car nombreux sont les amis passant de bons moments ici. Visite des travaux et je m'abstiens de tout commentaire sur l'organisation des pièces. C'est leur façon de vivre et de faire. 

inspection des travaux à faire
Il y aura de la place dans la grande salle des invités pour poser au moins une demi-douzaine de lits. Chacun pourra y ronfler à l'aise après le bon repas de chasse et le(s) petit(s) verre(s) d'alcool. Et toutes les couvertures matelassées sont bien entassées dans les énormes cantines métalliques, bien naphtalinées.
C'est ça l'hospitalité indienne : il y a toujours à manger et à coucher pour tout le monde. Mais j'ai encore du mal à accepter de dormir à trois dans le même lit avec ma copine et sa mère, surtout en gardant la lumière allumée toute la nuit.
Nous devions rester une nuit. Mais elle était chef de chantier, conductrice pour aller faire les courses, surveillait les travaux, donnait son avis, organisait les activités pour aider sa mère. Il fallait aller à la ville chercher les carreaux pour la cuisine, ce qui signifiait deux bonnes heures aller-retour, faire le marché pour la distribution des légumes et du tabac aux journaliers le lendemain. 

le carreleur en pleine action
Je préférai choisir la lecture à l'ombre et une promenade dans les cailloux plutôt que de passer toute l'après-midi dans la poussière des chemins.

promenade dans le désert de cailloux
les troupeaux paissent mais ça se rapproche plus du léchage de cailloux
Elle décide de rester une deuxième nuit. Promis, nous partirons en début d'après-midi me répondit-elle concernant ma crainte de rouler de nuit. Mais partir à 14 h, c'était du rêve. Qu'elle fasse le tour des travaux, déjeune, prenne sa douche et nous voilà à 16 h 30. La route la plus difficile sera faite au soleil couchant et il faudra juste éviter tous les troupeaux qui rentrent pour la traite, les nids de poule, les énormes tracteurs et leur gigantesque ballot de fourrage, les bus locaux qui foncent comme des dingues et les motos à trois ou quatre passagers, sans casque bien évidemment.
Et sur l'autoroute elle a décidé sous prétexte d'être cliente fréquente de passer tous les péages sans payer en se collant au plus près du véhicule de devant. Je me suis fait toute petite dans la voiture. Et elle : c'est parce que je suis en jeep qu'on ne me reconnaît pas, quand je passe avec ma voiture c'est sans problème.
Et moi de lui expliquer qu'en France non seulement elle n'aurait déjà plus de permis depuis longtemps rien qu'à sa façon de négliger de faire le tour des rond-points mais qu'elle aurait aussi la police aux trousses pour non-paiement des péages. Mais bon, le traumatisme c'est moi qui l'avais, pas elle.

mercredi 1 novembre 2017

Konarak


les assiettes du restaurant de l'office du tourisme de Konarak nous met dans
l'ambiance solaire

Le lendemain, grande journée pour aller visiter les sites intéressants dans un rayon de 70 km autour de la capitale.
Dhauli Shanti Stupa : panneau explicatifi
Nous n’avions pas eu le temps d’aller visiter le stupa de la paix, un autre construit par les Japonais, toujours eux, dans la région de Bhubaneswar à Dhauli. Voir le premier visité à Patna sur un article précédent (Rajgir et le Pic des Vautours)

le stupa

Monument impressionnant, statues du Bouddha et joyeux mélange avec des temples hindous remplis de brahmanes avides de billets, à croire qu’on transporte une banque avec nous.
un brahmane bien occupé à peindre les yeux de la déesse, très accueillant

un temple à Shiva avec le bon gros derrière du taureau Nandi gardien du temple

ROCKS EDITS OF ASHOKA (270-236 avant JC)

Treize rochers qui comportent des inscriptions en Brahmi une des plus anciennes écritures et qui donnent des indications sur le comportement et la moralité, sur le fait de ne pas tuer des animaux, de planter des arbres au bord des routes et de creuser des puits.
Un éléphant en pierre dont l’énorme flanc est couvert d’inscriptions se trouve sous une verrière pour éviter que chacun vienne gribouiller son nom ou ses initiales, la majorité des Indiens ayant encore bien du mal à comprendre ce que veulent dire les termes « sauvegarder le patrimoine national ».

le grand texte en brahmi écrit sur les flancs de l'éléphant et précieusement
conservé sous une verrière bien fermée à clé (mais qu'on ouvre pour les
occidentales curieuses !)

Le jardin autour de ses rochers est magnifiquement entretenu et un énorme banyan abrite sous son ombre des étudiant.e.s en dessin.



KONARAK : les roues du jour et de la nuit
vue (un peu) générale du temple de Konarak, en rénovation au moins pour dix ans nous
a dit notre guide !
l'entrée du temple

Deux belles heures passées à découvrir ces merveilleux temples à Konarak à une soixantaine de kilomètres de Bhubaneshwar. Un guide se propose dès notre sortie de taxi, trente ans de carrière ici, son grand-père s’occupait déjà du site et son père a suivi. Lui a pris la relève mais ses fils ne suivront pas la filière, partis faire des études ailleurs. Un anglais excellent et que nous comprenons bien, donc c’est parti pour deux heures de découverte et d’explications sur ce site connu pour être un culte au dieu Soleil. Les images les plus connues sont ces magnifiques roues du chariot solaire, douze pour le jour et douze pour la nuit, chacune racontant de petites histoires parfois croustillantes sur l’emploi du temps à tenir dans la journée ou la nuit, avec des êtres humains ou des animaux.
les fameuses roues du chariot du soleil



belle série de sculptures avec musicien.ne.s, danseuses

une femme sortant du bain et qui essore ses longs cheveux
Pas mal de sculptures érotiques qui montrent qu’au XIIIe siècle en Inde on ne laissait ni sa langue ni son sexe dans sa poche. Et chacun.e pouvait venir regarder paisiblement les nombreuses illustrations de pierre pour se donner plein d’idées pour occuper ses nuits. Pour éviter toute censure moralisatrice, les sculptures les plus osées ne seront envoyées qu’en privé et sur demande !

mardi 31 octobre 2017

Orissa : suivre le soleil


Nous avons suivi le Soleil, cela s’est imposé comme une évidence. Nous étions au Jharkhand pour la fête de Chhath où a été vénéré, remercié, célébré le soleil couchant et le soleil levant. Il ne nous restait plus qu’à aller directement rencontrer le Soleil dans son Temple : celui de Konarak en Orissa (ici on dit Konark en Odisha).
De Ranchi la capitale du Jharkhand part un train direct pour la capitale de l’Orissa : Bhubaneshwar. Trajet de 13 heures tranquilles en train de nuit pour faire… 629 km. Il faut savoir prendre son temps pour approcher l’astre solaire !

A Bhubaneshwar, premier jour pour visiter la ville et aller faire le tour du temple absolument grandiose mais interdit aux non-hindous : celui de Lingaraja. Shiva et Vishnu y sont vénérés sous la forme de Harihara. Le temple a été construit autour de 1100 mais des parties datent du VIe siècle et c’est un lieu de pèlerinage important. Bien sûr, frustrées de la vision des dieux et déesses foisonnant à l’intérieur du temple nous n’avons pu prendre en photo que l’amalaka du temple, à savoir la flèche de Rama, adorateur de Shiva.
la flèche de Rama et ses drapeaux flottants
 Nous nous sommes rattrapées sur les petits temples annexes jouxtant le grand temple, bien entouré de murailles elles-mêmes ficelées de barbelés tout neufs. Ce qui fait bizarre dans le paysage, on se croit en temps de guerre…

Franchement ça n'arrange pas la vue...
bon, le lampadaire, ça n'arrange ni la photo ni le bâtiment... encore quelques efforts à faire
pour la conservation du patrimoine !
à côté du grand temple, de tous petits temples perdus dans un peu de nature

avec quelques belles sculptures
Nous avons terminé la journée dans les grottes d’Udayagiri et Khandagiri, dorées par le soleil couchant.

vue des grottes d'Ugayagiri depuis la colline de Khandagiri
l'entrée des grottes d'Udayagiri
C’est l’un des premiers groupes de grottes naturelles et taillées par l'homme, servant d'abris à des moines jaïns. Ce site du IIe siècle av. J.-C., presque contemporain de celui de Sanchi (Madhya Pradesh), est situé sur Udayagiri Hill, " la colline de l'aube ", et Khandagiri Hill, " la colline cassée ". De jolis jardins, bien entretenus et habités par des petits farceurs de singes langurs, entourent les grottes. Les touristes indiens s’y pressent nombreux et n’hésitent pas à gâcher le plaisir de la vue par les papiers gras et bouteilles de plastique vides. La compréhension de ce qu’est le respect du patrimoine est encore bien loin d’être entrée dans les mœurs.
la vue sur Bhubaneshwar

Udayagiri
Cette colline, la plus intéressante des deux, compte 18 grottes. Les plus remarquables sont :
Grotte 1 : Rani Gumpha. La plus grande et la plus populaire des grottes. Sur deux étages, on peut y admirer des sculptures intéressantes relatant la vie de l'époque ainsi que des piliers ornés de symboles jaïns.
Rani Gumpha
Grotte 10 : Ganesha Gumpha. Deux statues d'éléphants à l'entrée, un Ganesh sculpté dans la pierre dans la cellule de droite et des scènes de l'histoire royale.
celle-ci serait datée d'un siècle avant JC
 Grotte 14 : Hathi Gumpha. Les inscriptions présentes dans la " grotte de l'éléphant " sont la source principale de l'histoire de Kharavela, alors souverain de l'Empire s'étirant de la côte Est au sud de l'Inde. 
 
la grotte du tigre, la gueule grande ouverte
Grotte 12 : Vyaghra Gumpha. La grotte du tigre.

il y a des papas photographes qui font des efforts de mise en scène...
Khandarigi vue d'Ugayagiri
Khandagiri
Cette colline fait face à celle d'Udayagiri. On y dénombre 15 grottes. A son sommet se trouve un magnifique temple Jaïn bâti au XVIIIe

Et demain, grande journée à Konarak, temple du Soleil !

vendredi 27 octobre 2017

Regards. Fête du Chhath à Hazaribagh

J'avais envie de faire des photos sur les regards pendant cette fête, joyeux, interrogatifs, graves, mais toujours beaux...
nous avons sympathisé avec cette femme, son mari et sa petite fille. Et elle nous
a donné des bananes et de délicieux biscuits faits maison à l'anis vert.
son mari lui demande de poser pour une photo et elle lui donne un beau regard
un peu coquin quand même !

elle prend son rôle au sérieux et voudrait bien savoir à quel moment elle pourra
lui mettre un peu de vermillon sur le front !

son mari la suivait, elle vient juste de poser son panier sur les marches et ... où est-il bien passé ?

elle me voit prendre des photos et ça l'amuse beaucoup quand je me tourne vers elle

maintenant que j'ai allumé les bâtons d'encens, je voudrais bien qu'il arrive !

ça va mieux ? tu as un peu moins mal à la tête ? elle s'inquiète pour son amie

bon alors, est-ce que je vais arriver à trouver un mari ici ?

elle vient d'éclater de rire, elle est heureuse, joyeuse dans cette fête